Le bourreau à l'époque médiévale.
Sous l'antiquité le métier de bourreau n'existe pas: le fait de mettre à mort n'est pas
réservé exclusivement à un individu dont ce serait la fonction principale. Le système juridique hébra
ïque pose que l'exécution est le fait de la collectivité,
les membres du groupe ne sont pas seulement spectateurs, mais acteurs
de la bonne application du ch
âtiment, tandis que le droit grec laisse le chef de famille lésé s'en charger lui-m
ême et le ch
âtiment n'est pas publique, il se déroule dans l'enceinte de la maison.(cf de l'exécution capitale à travers les civilisations et les
ãges,
Gilbert J.)
Rome connaissait la mise à mort sans bourreau apparent, avec les jeux du cirque et les fauves.
La naissance du bourreau médiéval est alors pris dans un double mouvement. D'un c
ôté
il est le représentant de l'Etat, quand celui-ci délèguera les décisions de justice, et de l'autre, il demeure une émanation du peuple au nom duquel il applique le ch
âtiment,
héritier unique de l'ancien peuple assemblé. Le peuple participe activement aussi, en apportant des b
ûches quand le b
ûcher est installé à cet effet sans échafaud, au ras du
sol et dans la promenade infamante durant laquelle le condamnéest conduit à travers les rues.
Le choix du bourreau. En France l'institutionnalisation tarde et longtemps le bourreau est choisi occasionnellement parmi les membres du groupe. Dans le nord de la France on confiait l'exécution au ma
ïeur (le maire), en Allemagne au dernier arrivé dans la ville ou au dernier marié.Mais le bourreau que le sort désignait n'exer
çait son office qu'une seule fois. (cf le Métier de bourreau de J.Delarue)
Parfois un condamné était gr
âcié à condition qu'il accepte d'
être bourreau. Ce chantage fut légiféré en 1620 à Bordeaux.Il restait à demeure dans la gé
ôle, on lui coupait les oreilles et il avait obligation de porter des gants.
Mais au Moyen Age, dès le XIVe siècle, le métier de bourreau se professionnalise. La
professionnalisation procède à la fois d'un mouvement historique et d'une nécessité. Le mouvement historique est celui qui conduit à une monopolisation de la violence
légitime par l'Etat. Ce monopole interdit à la population mais aussi aux juges, de procéder à l'exécution. Celle-ci devient une prérogative de la puissance publique. La nécessité est celle qui oblige à désigner un professionnel à l'époque où les difficultés techniques de l'application du talion imposent le recours à un spécialiste. (cf le Pouvoir, les Juges et les Bourreaux, de J.Imbert et G: Levasseur)
Rapidement la charge de bourreau devient héréditaire. Elle se transmet de père en
fils, ou d'oncles à neuveux. Il existe ainsi de véritable dynasties de bourreaux. Ainsi en Normandie, un membre de la famille Jouenne était bourreau à Caudebec en 1202 et son
descendant, six siècle plus tard, Charles Jouenne était bourreau dans le Pas-De-Calais. Cette transmission de la charge de bourreau tient à son statut particulier: le boureau était marginalisé et ses enfants exclus de l'enseignement ou de l'apprentissage et donc ne pouvaient pas excercer d'autres métiers.
L'infamie du métier de bourreau.Dieu n'intervient pas dans les affaires de justice humaine. Il a donc remis au souverains l'éminente prérogative de la punition des crimes (cf J. de Maistre, dans Soirées de Saint-Pétersbourg). En pratique celui qui a la charge d'exécuter les ch
âtiments, c'est le bourreau. Il n'est qu'en apparence comme le commun des mortels, il vit dans la solitude avec femme et enfants qui lui font conna
ître la voix de l'homme: sans eux il ne conna
îtrait que les gémissements.
Pour comprendre la relégation du bourreau au ban de la société, il faut se référer à l'adage de la doctrine canonique enseignée et transmise « Ecclesia abhorret a sanguine ». On a souvent traduit cet adage par « l'Eglise déteste faire couler le sang ».
Mais l'image pieuse se brouille en raison de l'extension dans l'Europe chrétienne, de la légitime défense et des exonérations d'intention coupable.L'Eglise, en relation
étroite avec les pouvoirs laïques, met en place des tribunaux d'exception où la mort et le sang sont « justement » versés. L'Eglise encourage les chrétiens a verser le
sang des infidèles (maures ou juifs) ou d'autres chrétiens,sur l'ordre des détenteurs du pouvoir temporel, du pouvoir duglaive des rois et des principautés très chrétiennes.
Et ce jusqu'à nos jours quand il s'agissait de bénir les chars franquistes ou d'organiser la fuite des criminels de guerre nazis.
Ainsi donc il ne faut pas se satisfaire de cette traduction pieuse et restrictive de l'adage « Ecclesia abhorret a sanguine » mais le traduire lato sensu par « L'Eglise hait le sang qui coule ».
Pour l'Eglise l'écoulement du sang comme du sperme a un statut d'effusion polluante. Les menstrues et autres hémorragies sont polluantes. Le statut de la femme dans l'Eglise en est totalement affecté. Leur impurté potentielle naturelle l'éloigne du Sacré. Encore de nos jours les femmes considérées comme impures ne peuvent accéder aux fonctions ecclésiales. Il ne faut donc pas réduire soigneusement la traduction de l'adage « Ecclesia abhorret a sanguine » à l'effusion de sang homicide.
Le soldat qui tue sur ordre n'est pas homicide. Le chrétien militaire jouit d'un statut exonérant car sa hiérarchie l'a constitué légitime défenseur de la Cité.
Mais le bourreau, mais aussi le boucher, (d'ailleurs dans certaines villes, en l'absence de bourreau, le boucher devait officier) sont contaminés par le sang et le toucher de la mort. Bouchers et bourreaux sont parias, exclus de la société médiévale. Ils ne peuvent accéder à la cléricature, toucher les denrées alimentaire sur les marchers avec leurs mains, et le bourreau ne peut pas être enterré dans un sol consacré.
De plus le bourreau tue et son office ne l'exonère pas complètement du sang des autres. Il est le bouc émissaire de l'office royal et de fait privé de sacrement, il est exclu du salut et de la communauté civile.
(cf« le sang du corps du droit canon »de M.Bordeaux
)Le sceau de l'infamie et représentation iconographique Dès le XVe siècle, le bourreau marqué de l'opprobe sociale doit porter un signe distinctif de sa fonction. Comme les juifs portaient la rouelle (l'ancêtre de l'étoile imposée par les nazis), ou un anneau fixé au corps, le bourreau devait demeurer identifiable, par une main tenant une épée, brodée sur sa manche, ou alors échelle et potence de tissu cousue sur son chapeau. A Dijon, en 1551, une lettre du procureur rappelle au bourreau qu'il doit en tout lieu porter son bâton, peinturé et d'un pied et demi de long sous peine d'une amende de trois livres cinq sols. Mais le signe le plus distinctif concernait la couleur de ses vêtements.Il devait porter une casaque ou un chapeau de couleur rouge. (cf Histoire de Bourreaux, de L.Lanvin)
Dans l'art du Moyen Age un certain nombre de traîtres, de fellons et de rebelles sont souvent roux (Caïn, Ganelon, Mordret etc...) Ainsi les fils révoltés contre leur père, les
usurpateurs, les femmes adultères, ainsi tous ceux qui, dans les hagiographies et les traditions sociales, se livrent à une activité déshonnête ou illicite: bourreaux, prostituées, usuriers, jongleurs, bouffons. Etre roux constitue un de leurs caractères iconographiques ou déictique les plus remarquables.
La rousseur dans l'image rejoint les marques et les insignes vestimentaires de couleur rouge ou jaune que ces catégories sociales ont réellement du porter, à partir du XIIIe
siècle. Si depuis l'antiquité être roux c'est être cruel, sangland, laid, inférieur, au Moyen Age cela devient surtout être faux, rusé, déloyal, perfide.
En Allemagne, au Moyen Age, Judas, apôtre félon, a le surnom de Iskariot (l'homme de Cairoth) de « ist gar rot » c'est-à-dire « est tout rouge ».
(cf une Histoire Symbolique du Moyen Age, de Michel Pastoureau
)Salaire et prérogatives du bourreau A titre d'exemple, voici le détail des salaires et avantages du
bourreau à Amien:
fustiger une personne sur la courtine 15 sols
pendre
et étrangler 60 sols
couper un poing 40 sols
trancher la langue 40 sols
trancher le tête 1 écu et 20 sols
rompre sur la roue 1 écu et 40 sols
bouillir une personne en eau vive 1 écu et 20 sols
Plus 60 écus par an, 5 aunes de drap pour sa robe. Un logement. Un septier de blé à Noël et un autre à Pâques.
Dans toutes les villes le bourreau avait aussi le droit de havée: à l'arrivée des marchands sur la place du marcher (entourée de chaines à cet effet, à Orléans), le bourreau avait le droit de prélever une quantité de denrées que sa main contenait. Plus tard on utilisait une balance pour éviter les abus. Et ensuite le droit de Havage fut remplcé par un dédommagement de 1200 livres.
En 1372 un arrêt énonce les droits du bourrel de Paris « toute personne qui amèneront foin nouveau aux halles lui doivent chacune personne un denier, item les verjus de
raisin. »
Au XIIIe le bourreau était « roi des ribauds » (officiers mineurs de la maison du roi) et pouvait prélever de l'argent aux prostituées.
Dans l'Est de la France il est aussi équarisseur et bénéficie du privilège de riflerie (conserver la peau des animaux morts).
Il s'appropriait les vêtements et contenus des poches des condamnés.
Il louait des bonnes places aux curieux qui se pressaient.
Il revendait le sang, les os et autres organes pour les préparations médicales.
Exempté
de droits sur le vin,de gabelle,et des redevences de mouture au
moulin banal.Le spectacle de l'exécution Le bourreau détient le droit et le devoir de torturer et de tuer.
Une peine, pour être un supplice doit répondre à
trois critères principaux:
Elle doit produire une certaine quantité de souffrance (de la
décapitation, degré-zéro du supplice, jusqu'à
l'écartellement)
La production de souffrance est réglée, avec un code
juridique de la douleur, la peine est calculée selon des
règles détaillées( nombre de coups, emplacement
des instruments, longueur de l'agonie, type de mutilation).
Le supplice fait parti d'un rituel. Il doit être marquant pour la
victime de manière à la rendre infame, et il doit être
éclatant pour la justice, pour montrer son triomphe.
Le cheminement vers le lieu d'exécution et l'exécution elle-même sont l'objet d'une cérémonie dont tous les moments ont un sens. La rue qui conduit au supplice est, dans
chaque ville, toujours la même et elle doit êtres peuplée par un abondant public: le cortège passe donc de jour, à une heure d'activité, si possible un jour de marché. Le
foule peut être sollicitée lors des arrêts du cortège, en général aux carrefours, pour
insulter le condamné ou lui jeter des pierres ou de la boue. Le condamné est mis dans la charrette d'infamie. « Battez fort ce paillart et ne l'épargnez point, car il a bien
desservi! » crie encore le public sous le règne de Louis XI.
Au moment de l'exécution, un responsable de la justice crie l'acte d'accusation, le dictum, au peuple qui l'écoute. Puis le bourreau fait son office.
Les gestent et les cris qui scandent ces cérémonies ont un sens symbolique. La peine doit prendre valeur d'exemple et le pouvoir affirme ainsi sa force. Il manifeste aux yeux de tous qu'il peut être pouvoir de mort. La présence de la foule est nécessaire
à l'accomplissement de la peine.Tout concourt à construire l'infamie du condamné dont l'honneur doit être bafoué pour qu'il y ait mise à mort. La présence du public garantit l'efficacité de la honte et le souvenir d
e la peine.Exclure est un acte grave, contre nature, et pour le mener à bien, il faut encore l'accord de tous
.Ainsi les représentations iconographiques des exécutions transposent cette unanimité par l'aspect jovial des visages des spectateurs et acteurs de la scène
.