SEXE ET AMOUR AU MOYEN-AGE de Bernard Ribemont.
"Entre la lubricité effrénée et l'ascèse exigée par une Église castratrice - extrêmes que l'on prête généralement au sexe médiéval dans les productions modernes plus ou moins frelatées, mais à succès - il est sans doute nécessaire d'opérer une mise au point sur l'amour et ses pratiques dans le monde médiéval. Tel est l'objet de cet ouvrage qui, sans détourner pudiquement les yeux (bien au contraire !) de quelques rudes gaillardises, se penche aussi sur des problèmes plus sérieux, relevant de la médecine, du droit ou de la théologie, avec l'ambition de donner au lecteur un aperçu de tous les champs dans lesquels amour et sexe pouvaient se dire, s'écrire, se cacher, mais aussi se faire."
0. Pourquoi écrire un tel livre?
0bis. De quels textes allons-nous parler?
1. Comment approcher la notion d’amour pour le Moyen Âge?
2. Que désigne le mot « amour »?
3. Quelle est la place de l’amour profane dans la littérature médiolatine?
4. Comment l’amor occitan apparaît-il dans la littérature (fin XIe s.)?
5. Qu’est ce que la fin’amor?
6. Quelles images pour chanter l’amour courtois?
7. Que signifie « troubadour »?
8. Qui sont les troubadours?
9. Y a-t-il des femmes-troubadours?
10. Quel amour chantent les femmes-troubadours?
11. Quelle est l’origine de la fin’amor?
12. Comment s’est faite la transmission de la fin’amor dans le nord?
13. La fin’amor change-t-elle lorsqu’elle est chantée par les trouvères (fin XIIe-XIIIe s.)?
14. La femme peut-elle refuser d’aimer celui qui se déclare son fin amant?
15. Lancelot, m’aimez-vous vraiment?
16. Fins amants et amantes adultères; mais qu’en pense l’Église?
17. Dans la littérature chevaleresque, peut-on s’aimer dans le mariage?
18. Existent-ils des amours épiques?
19. Y a-t-il place pour l’amour physique dans les chansons de geste?
20. Puis-je vous servir à boire un petit philtre d’amour?
21. Y a-t-il des amours tragiques dans la littérature médiévale?
22. Le cocu se venge-t-il?
23. Est-il quand même possible de rire ou sourire de l’horrible vengeance provoquée par la jalousie?
24. Existe-t-il des amours entre les hommes et des créatures surnaturelles?
25. Qu’en est-il des femmes et des créatures de l’au-delà?
26. M’aimez-vous, grand méchant loup?
27. Si l’on allait un peu se mettre au vert?
28. Qu’est-ce qu’un fabliau érotique et de quel érotisme s’agit-il?
29. Les moines étaient-ils des « sans culottes »?
30. Quelle approche médicale du coït?
31. Que nous disent les textes sur les pratiques (hétéro)sexuelles ?
32. Et les plaisirs solitaires?
33. Comment considère-t-on les organes génitaux?
34. Que pense-t-on du désir sexuel de la femme?
35. Les vieilles font-elles l’amour?
36. Y a-t-il des « veuves joyeuses »?
37. Comment interpréter la place faite à la sexualité de la femme âgée dans la littérature médiévale (ou conclusion aux deux questions qui précèdent)?
38. Que dire des hommes âgés quant à leur sexualité?
39. Qu’est-ce qu’une entremetteuse au Moyen Âge?
40. Tu montes, chéri?
41. Qui étaient les prostituées?
42. Que sait-on du viol dans la société médiévale?
43. Quel était le droit en matière de viol?
44. Parle-t-on de viol dans la littérature?
45. Qu'en était-il de la contraception?
46. Et les « homos »?
47. Qu’est-ce que l’amour profane pour les théologiens du Moyen Âge?
Extrait proposé sur le site de l'éditeur:
Pourquoi écrire un tel livre?
Le Moyen Âge, dit-on, est à la mode. À preuve ces quantités de films, de romans – surtout des polars –, de bandes dessinées qui, d'un festival à l'autre, dans les salles obscures ou sur les tables des libraires, attestent du succès dans le public d'une période mystérieuse, réceptacle de tous les possibles, de tous les imaginaires et surtout des fantasmes de nos contemporains. Dans la profusion qu'encourage notre société dite « libérale », il y en a pour tous les goûts : de l'hémoglobine et de la tripe – du gore –, de l'ésotérique, du gnangnan – avec chevalier cucul et belle damoiselle fleur bleue –, du gros néné siliconé (la BD « médiévalisante' adore cela) et, surtout, du cliché à la louche, dont certains ont la vie particulièrement dure : et de l'alchimie, et de l'astrologie, et du bûcher, et de l'ignoble inquisiteur, et de la sorcière oscillant entre laideur diabolique et beauté pulpeuse tout aussi diabolique – du moins aux yeux du vilain moraliste, bien évidemment moine (si possible hypocrite et lubrique) ou évêque (toujours l'affreux inquisiteur) ! L'on regrettera au passage que, dans le Nom de la Rose de Jean-Jacques Annaud, le brave Bernard Gui, évêque chroniqueur benoîtement mort dans son lit, soit devenu l'ignoble finissant empalé sur un engin agricole après avoir fait brûler une sensuelle demoiselle, peut-être sulfureuse, mais plus par le contour de sa gorge que par ses pieds fourchus. Ah! la force du cliché, le goût du public!
Côté amour, la balance entre le rose (la regrettée Jeanne Bourin) et le noir est encore plus manifeste; le Moyen Âge en représentation oscille entre d'une part de beaux chevaliers courtisant de belles dames gentes et nobles (le fameux « amour courtois » !) du bout du regard et même pas du doigt, et d'autre part le bûcher qui guette tout sujet (surtout si le sujet est sujette) un tant soit peu égrillard voué immédiatement aux flammes de l'Enfer par une Église vigilante et castratrice.
De façon par ailleurs contradictoire, puisque tout semble permis avec cette obscure et lumineuse période, le Moyen Âge est aussi présenté comme un âge de la liberté sexuelle : fabliaux, farces, carnaval et fêtes des fous à l'appui, on imagine bacchanales et coucheries, tromperies et cocufiages multiples, le tout dans une atmosphère finalement assez bon enfant, « naturaliste », en un âge d'or du sexe et de la gauloiserie. Pour revenir enfin au côté noir, âge de plomb cette fois-ci, la période médiévale est aussi celle du viol, des abus sexuels multiples infligés si possible à de belles vierges bergères et bucoliques par d'horribles seigneurs (vivement 1789!) précurseurs, jusque dans leurs perversions, du divin Marquis; de nombreuses BD pour adultes, que rigoureusement ma mère m'a défendu de nommer ici, en font leurs choux gras.
On l'aura compris, tout cela a un air bien anarchique, particulièrement fantaisiste, bref, sent le bric-à-brac plus ou moins commercial ou, pour les mieux intentionnés, l'erreur historique. Entre les extrêmes de la charlatanerie, s'est cependant constitué, plus sérieux – mais cependant conditionné par des images fausses et tenaces –, un inconscient culturel, reposant aussi sur des lectures de romans historiques de diverses qualités, sur des films ne tombant pas dans l'outrance, ou des BD tentant d'illustrer tel ou tel texte, tel ou tel épisode avec une certaine rigueur. La représentation du Moyen Âge reste certes colorée, mais de façon moins délirante : cependant, les idées que l'on se fait de l'amour et de la sexualité reposent encore sur de nombreux clichés. Le plus tenace de ces derniers est sans doute celui qui confond toujours amour courtois et amour platonique. Il faudra, bien évidemment, pouvoir entrer dans le Moyen Âge de l'amour profane par l'incontournable porte de l'amour courtois, autrement dit de la fin'amor.
Et c'est bien l'amour profane qui sera ici « cinquantequestionné ». Éliminer l'amour divin, l'amour de Dieu, l'amour de la Vierge, a quelque chose d'incongru lorsque l'on prétend parler du sentiment amoureux au Moyen Âge. Les prédicateurs, les théologiens médiévaux ont élaboré un discours, une réflexion particulièrement riches supportant une « théologie de l'amour ». Mais, justement, il y faudrait encore, en réduisant drastiquement selon les normes de la collection, cinquante questions, que je laisserai donc formuler à de plus compétents que moi.
Pour des raisons du même ordre, il ne sera ici question que de la France, en comprenant par cette appellation, grosso modo, l'espace géographique correspondant à notre Hexagone, même si la réalité de la France est fort différente, et mouvante, au cours du Moyen Âge. Je ne retiendrai en particulier, pour ce qui concerne les textes écrits en langues vernaculaires, que l'occitan (le provençal) et le français. Même si je m'autorise parfois à quelques incursions vers la littérature européenne ou arabe, à titre comparatif, il me paraît impossible d'intégrer à ce questionnaire toutes les traditions littéraires médiévales : il faudrait en effet considérer les terres d'Islam, la Chrétienté occidentale, Byzance et, du côté de la littérature, questionner les Minnesänger, les Nibelungen, Il canto del mio Cid, Il libro del buon amor, Dante, Pétrarque, Chaucer, John Gower, etc., etc. Nous en arriverions aisément à Mille questions sur...
Cinquante questions dans la besace, nous partirons donc sur les routes de France, exclusivement à la rencontre de l'amour qu'un être humain peut provoquer chez un autre, ressentir lui-même et vivre dans son cœur, son corps, son imaginaire, en rapport – contradictoire ou non –– à celui de la société qui l'entoure, cet amour que disent et inventent les textes littéraires.
Cinquante questions pour tenter d'y voir un peu plus clair. Cinquante questions pour déchirer certaines images d'Épinal, mais aussi pour en confirmer d'autres, en essayant de leur donner un trait plus acéré. Cinquante questions pour s'amuser aussi : la « gauloiserie » de certains textes n'est pas du domaine du légendaire! (le lecteur ou la lectrice prude pourra sauter les passages en question).
Cinquante questions enfin pour écrire autrement : tenter de tracer les contours de l'amour au Moyen Âge d'une façon rigoureuse, mais aussi la moins ennuyeuse possible (encore le bon vieux docere et delectare). La formule de la collection autorise la forme « éclatée » de l'écriture et donc, pour l'amateur de ce genre d'exercice, de la lecture; un puzzle que le lecteur assemblera (presque) comme bon lui semble, tel une collection de « micro-lectures » dont l'ordre d'approche est laissé au libre arbitre de celui qui choisira de se poser, avec l'auteur, telle ou telle question, de sauter telle ou telle autre. Que celui-là ait alors la possibilité d'oublier la numérotation, de jouer à saute-mouton, au jeu de l'oie ou au parcours du combattant!
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