En l' An 1494,
d'après les faits rapportés et affirmé,par le " Procureur fiscale "
"Abbée au Couvent de Saint-Martin-de-Laon"
"Que dans la " Métairie de Clermont-le Montcomet", appartenant à la Justice haute, moyenne, basse,
au dit religieux, qu'un " jeune pourceau " avait étranglé et défiguré un jeune enfant au berceau, fils de Jean Lenfant, vacher dans la métairie et de Gillon la femme de Lenfant et nous priait de procédercomme la justice.
Alors, que " Lenfant " gardait ses bêtes, la dite Gilon, parti au village voisin, laissant seul, chez elle le petit enfant sous la garde d'une de ses filles âgée de neuf ans, qui s' en alla jouer.
L'enfant couché dans son berceau, le pourceau entra dans la dite maison, défigura et mangea le visage et la gorge dudit enfant, qui trépassa.
Par horreur et par haine dudit cas, et afin de conserver une justice exemplaire,nous avons dit et jugé,fait sentence, prononcé et ordonné,que le dit "pourceau", enfermé dans la dite Abbaye,serait pendu et étranglé, par le "Maistre des Hautes oeuvres",sur une fourche de bois, près de la " Métairie d' Avin "".
En témoignage, nous avons scellé ces présentes de notre sceau de cire rouge*.
Le Pourceau amené en la métairie de Clermont, fut exécuté et étranglé sur une
fourche près du gibet d'Avin".
texte extrait des Animaux et des hommes
Luc Ferry et Claudine Germé
Livre de poche . Biblio . Essai . 1994
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- Au Moyen Age, et jusqu’au XVIIe siècle, on trouve ainsi trace, dans les archives, de procès intentés à des animaux criminels. On trouve, en fait, au moins deux types distincts de procès d’animaux à cette période : les procès collectifs intentés aux rongeurs, sauterelles, chenilles et autres fléaux qui dévastaient épisodiquement une région ; et les procès individuels de gros animaux coupables de crimes. Face aux essaims d’animaux nuisibles, lorsque les processions et autres pratiques de pénitence collective n’avaient pas porté leurs fruits, les tribunaux ecclésiastiques réagissaient en s’en prenant à la « vermine » avec des rituels de conjuration, de malédiction, d’exorcisme et même d’excommunication ! Dans le second cas, ce sont les tribunaux civils qui jugeaient les animaux coupables de crimes individuels. Le propriétaire de l’animal n’était pas tenu pour responsable des crimes graves commis par une de ses bêtes. La question de la responsabilité des animaux, liée à celle de savoir s’ils avaient, ou non, une âme, était sujette à de nombreux débats de théologiens et soulevait de multiples discussions. Néanmoins, les juristes d’Ancien Régime s’accordaient généralement sur l’idée qu’il faut punir un animal criminel, pour l’exemple et pour frapper les mémoires, de manière à ce que l’événement ne se reproduise plus. De plus, les procès d’animaux étaient l’occasion de réaffirmer les principes de la bonne justice, qui veut que tout être soit sujet de droit et que tout crime obtienne réparation. L’animal était ainsi traité comme n’importe quel criminel humain, et même, aucun aspect de la procédure n’était omis : capture et incarcération du coupable ; procès-verbal, enquête et mise en accusation par la justice ; travail du juge qui écoute les témoins, confronte les informations et rend sa sentence, laquelle est signifiée à l’animal dans sa cellule ; et enfin exécution. Les procès individuels d’animaux offraient ainsi le spectacle de l’exercice parfait de la bonne justice, accompagnée de tous ses rituels, dans le moindre détail.
En 1386, à Falaise, en Normandie, une truie mal surveillée provoque un drame en dévorant un nourrisson dans son berceau. Elle est capturée et jetée en prison, comme tout criminel, homme ou femme, l’aurait été. Au tribunal, le procès dure neuf jours. Le deffendeur de l’animal se montre peu efficace devant l’énormité du crime. Le juge déclare la truie coupable d’infanticide et la condamne à être suppliciée et à mourir sur l’échafaud. Au jour dit, vêtue d’habits d’homme, la truie est traînée à travers la ville jusqu’à l’échafaud, devant une foule nombreuse, composée en partie d’autres porcs, ses congénères. Le bourreau lui fait subir les mêmes mutilations qu’elle a infligées au petit enfant qu’elle a tué : il lui coupe le groin et lui entaille la cuisse. Puis il la coiffe d’un masque humain et, toujours devant la foule en émoi, il la pend par les jarrets à une fourche de bois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Selon la coutume, le corps de la truie criminelle est ensuite traîné à nouveau sur la place. Enfin, ses restes sont dépecés et brûlés, en signe d’infamie.
D’après l’article de Michel Pastoureau, « Les procès d’animaux. Une justice exemplaire ? », paru initialement en 2000, et remanié en 2004 pour son ouvrage : Une histoire symbolique du Moyen Age occidental, Paris, Seuil, La Librairie du XXIe siècle, pp. 29-48.
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-Nous pouvons observer trois catégories de procès. Il y avait d’abord les crimes des animaux domestiques individuels qui relevaient de la justice civile. Ensuite il y avait les délits commis par des groupes d’animaux, surtout perpétrés par des insectes ou des petits rongeurs et qui étaient jugés par l’Église. Enfin, il y avait les animaux accusés de complicité aux crimes de bestialité, donc à caractère sexuel, et qui étaient accompagnés de l’homme ou la femme ayant commis l’acte en question. Ce dernier genre de délit était souvent associé à la sorcellerie. (3)
Les animaux "nocifs"
"De nombreux pauvres chats ont été jugés et livrés aux flammes, car on croyait qu'ils pouvaient être la métamorphoses de sorcières, ou de femmes vendues à Satan." (1)
1735, un âne fut arquebusé par sentence du magistrat de Clermont en Picardie pour avoir mordu sa nouvelle maîtresse. (1)
Les animaux "nuisibles"
Les premiers procès ont visé chenilles (1120), mouches (1121), serpents, anguilles (1225), certains s'éternisent : de 1545 à 1787 contre les cantharides de Saint Jean de Maurienne. Sur 61 cas, 34 vises les insectes (dont la moitié pour les seuls charançons); 9, les rongeurs; 5 les limaces; 3 les sangsues, etc.(...)
Les nuisibles recevaient avertissements et citation à comparaître, trois fois; en vain ! qu'importe ! Un avocat désigné pour ces coutumaces, faisait assaut d'arguments ou d'arguties avec celui des demandeurs. La solution était quasi immuable : le bannissement et l'exil. (1)
1587 : les habitants du villages de Saint -Julien intentent auprès du juge épiscopal de Saint-Jean-de-Maurienne un procès contre une colonie de charançons. Ces "amblevins" ou "verpillons" ayant envahi les vignobles où ils causent des dégâts considérables, les paysans demandent à leurs syndics de rédiger en leur nom une requête adressée au 'révérend seigneur vicaire général et official de l'évêché de Maurienne' qu'ils supplient de bien vouloir leur prescrire les mesures convenables à apaiser la colère divine et de procéder dans les règles, 'par voie d'excommunication ou toute autre censure appropriée' à l'expulsion définitive des bestioles. (2)
(1 - Les procès d'animaux - Michel Rousseau in Histoire et animal)
(2 - Le Nouvel ordre écologique - Luc Ferry)
(3 - les procès d'animaux au Moyen Age - Nathalie Lavictoire - Université du Québec à Montréal)