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 Towton 1461 : massacre au nom de la Rose

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Towton 1461 : massacre au nom de la Rose Empty
MessageSujet: Towton 1461 : massacre au nom de la Rose   Towton 1461 : massacre au nom de la Rose Icon_minitimeVen 2 Mar 2012 - 9:11

Towton 1461 : massacre au nom de la Rose

La guerre qui a opposé de 1455 à 1487 la rose blanche d'York à la rosé rouge de Lancastre a laissé
dans le sol anglais des traces macabres. À Towton, site de la bataille la plus féroce en 1461,
les archéologues font parler ces reliques.


C'est un village perdu de l'Angleterre rurale, à 20 km au sud-ouest d'York. Un village figé dans le passé. « Towton n'a guère grandi: le paysage ici a très peu changé depuis la fin du Moyen Age », note Graeme Rimer, directeur des recherches universitaires du musée des Armureries royales de Leeds. Mais les ondulations paisibles du paysage cachent une sombre réalité: en 1461, s'y est déroulée l'une des batailles les plus meurtrières de l'histoire britannique. Une bataille dont il ne reste rien, sinon quelques lieux-dits évocateurs, comme Bloody Meadow (le Pré sanglant), des débris épars enfouis dans la terre et aussi les squelettes blanchis dé 61 soldats. Un charnier découvert en 1996 et qui depuis n'en finit pas de parler. Cette fosse est exceptionnelle : il n'existe guère qu'un charnier de guerre médiéval comparable, celui de Wisby* en Suède. Mais les archéologues qui l'ont découvert au XIXe siècle ont, par de mauvaises pratiques, condamné à jamais au mutisme cette danse macabre. À Towton, au moins, la faute n'a pas été répétée: à travers l'étude des squelettes, c'est tout la physionomie d'une armée (ou d'un échantillon d'armée) de la fin du Moyen Âge qui ressuscite. Ainsi connaît-on l'âge moyen des soldats, leur taille, leur santé, leurs antécédents de combattants, s'ils avaient reçu un entraînement, et de quel type... Mais ces corps racontent aussi une histoire imprévue : « C'était la première fois qu'on voyait le genre de blessures que subissaient les soldats dans une bataille du Moyen Âge et leur distribution n 'était pas du tout ce-qu'on attendait, explique Christopher Knusel, professeur de bioarchéologie à l'université d'Exeter. La plupart des coups se concentraient sur la tête et le visage... »

Rouge sur blanc, sang sur neige

Que la fosse de Towton témoigne de la brutalité de l'époque n'est pas surprenant : la pitié, sur le champ de bataille médiéval, était surtout une affaire commerciale. Malheur aux prisonniers insolvables... Mais Towton s'est signalé dès l'époque comme une bataille à part. Pour comprendre, il faut revenir à ce 29 mars 1461, où l'armée à la rosé rouge, celle d'Henri Beaufort et du parti Lancastre, fait face à l'armée à la rosé blanche, celle du parti d'York et de son héritier, Edouard IV, tout juste autoproclamé roi d'Angleterre. Les circonstances mêmes du combat montrent déjà à quel point la guerre civile atteint un de ses paroxysmes. On se bat pendant la saison froide, alors que les batailles rangées sont rares en raison des problèmes logistiques et des intempéries. On se bat le dimanche des Rameaux, jour sacro-saint pour les chrétiens... On se bat de 9 heures du matin jusqu'à la nuit noire, une durée rarissime. Bref, on se bat pour en finir. Et tant pis si les convenances souffrent, ce sera bien pire pour les hommes.
Personne ne connaît les effectifs qui s'affrontent en ce fameux dimanche. Le chiffre de 58000 hommes a été avancé, mais que vaut-il? «Il est certainement gonflé, même si la bataille a été la plus grande de la guerre des Deux Roses, commente David Grummitt, professeur d'histoire à l'université du Kent. Mais si vous pensez que les grandes armées royales destinées à envahir la France

« La plupart des coups se concentrent sur la tête et le visage.»

regroupaient 10000 à 15000 soldats, il est probable que les armées présentes à Towton aient été plus modestes. » Ce qui est certain, c'est que ces hommes ont trempé leur acier dans la haine : « Ils se détestent d'autant plus qu'ils se connaissent tous, et de façon intime: on retrouve ainsi dans les camps adverses les membres de mêmes familles », souligne Christopher Knüsel. Lors de l'épisode précédent de cette vendetta à l'échelle nationale, le 30 décembre 1460 à Wakefield, les lancastriens vainqueurs n'ont pas seulement tué Richard, duc d'York, et son second fils,
Edmund, comte de Rutland. Ils ont, devant les murs d'York, fiché leur tête sur des piques et coiffé le duc d'une couronne de papier. Ces grands nobles n'ont pas été les seuls maltraités. Et l'horreur n'est pas non plus le seul apanage des lancastriens. « Après six ans de guerre, tout le monde, dans les deux camps, a de bonnes raisons de venger quelque chose, rappelle Christopher Knusel. Les hommes ont l'ordre de se battre jusqu 'à la mort, et pas de quartier. » La bataille, confuse, débute dans un blizzard aveuglant, et ce sont les lancastriens qui le prennent de face.

Les hommes d'Henri Beaufort ne peuvent riposter aux traits yorkistes qui les accablent impunément. « Une différence de portée d'au moins 20 à 30 m n'a rien d'inhabituel selon que l'on tire à l'arc avec ou contre le vent, même sans tempête de neige », explique Graeme Rimer. Las de souffrir, les lancastriens décident d'avancer. Plus nombreux, ils vont, au prix d'efforts et de pertes énormes, enfoncer le centre adverse quand, au début de l'après-midi, Edouard d'York reçoit sur sa droite le renfort du duc de Norfolk... Fatigués, leurs adversaires n'ont pas la force physique et morale de résister à la contre-attaque. Ils perdent pied, puis se débandent. Les premiers fuyards, noyés dans la rivière Cock, forment bientôt un pont pour leurs camarades en déroute... La bataille tourne à la boucherie. Un chroniqueur contemporain parle de 28000 morts, chiffre assurément très surévalué. Mais cet acharnement certain expliquerait beaucoup de choses.

Fuyards ou prisonniers?

Les mutilations reçues par les malheureux de la fosse de Towton dépassent de très loin le simple coup de grâce médiéval standard. Le soldat estampillé « Towton 32 » a ainsi reçu treize blessures à la tête, dont dix en provenance d'armes pointues ou de lames et trois en provenance d'une
reçu, lui, dix coups de lame à la tête : une tuerie frénétique qui rappelle davantage la guerre du Rwanda que les clichés sur la chevalerie : le seul soldat à ne pas porter de blessures à la tête... a été décapité. Autre détail évocateur du crime de guerre : « Un faible nombre de blessures sur les bras laisse sup¬poser que les hommes semblaient incapables de les lever, réflexe dérisoire pour protéger leur tête », explique Anthea Boylston, une des archéologues de l'équipe de fouilles, aujourd'hui retraitée. Ont-ils été liés avant d'être massacrés? Impossible de le savoir. Personne, d'ailleurs, ne peut démontrer à quel camp appar¬tenaient les soldats tués : on n'a trouvé dans la fosse ni vêtements, ni armes. Mais les fouilles ont révélé d'autres bizarreries. D'abord, le lieu de l'enterrement : à 1,6 km du champ de bataille, dans un espace non-sacré situé à côté de la mairie de la ville (qui n'a pas bougé depuis).
Que faisaient ces hommes si loin du champ de bataille? Se sont-ils réfu¬giés à la mairie de Towton ? Où les coups mortels ont-ils été délivrés? Sur le lieu de l'enterrement ou sur le chemin ? Graeme Rimer explique l'éloignement par un massacre de
fuyards: « Pour s'écar¬ter ainsi du champ de bataille, ils ont dû trouver un moyen de couvrir eux-mêmes la distance; le plus probable est qu'ils ont couru. Cela explique le faible nombre de blessures aux jambes. Pour mourir là-bas, il est possible qu'ils aient été rattrapés non pas par des hommes à pied mais par des cavaliers, qui ont frappé de haut, donc à la tête. »

Mutiler ici-bas pour tuer dans l'au-delà

L'autre étrangeté de la fosse de Towton tient au mode d'enterrement. Bien qu'il soit tout à fait commun au Moyen Âge de jeter les morts au combat dans un charnier, l'idée de les placer dans un lieu profane, à côté d'une mairie probablement utilisée, semble inédite. « L'orientation des corps ne s'accorde pas en outre avec les rites chrétiens de l'époque, que ion a pourtant observés systémati¬quement dans les quelques charniers civils retrouvés, creusés dans l'urgence des épidémies de peste », explique Anthea Boylston. Plusieurs corps ont ainsi été trouvés tête à l'est et non à l'ouest selon la tradition. Le traitement subi par les cadavres indique que quelques tueurs ont pris du plaisir. Et des trophées : ainsi, le crâne n° 13 montre-t-il des cou¬pures éloquentes autour des oreilles. « Ce genre de prélèvement, mélange d'os et de tissus mous, suggère plus que la simple volonté de défaire son opposant: c'est une privation d'identité, commente Christopher Knüsel. // est possible que les exé¬cuteurs cherchaient à priver leurs victimes de paradis en les rendant
méconnaissables: à l'époque, les corps mutilés n 'avaient pas droit à un enterrement chrétien. » À quel degré de haine ces hommes sont-ils donc parvenus pour refuser ainsi le repos éternel à un ennemi vaincu ?




*En 1896, on a trouve à Wisby, en Suède, quatre fosses contenant plus de 1000 squelettes de soldats tués en 1361, avec tout leur équipement. Mais les squelettes ont été mélangés, interdisant à jamais de reconstituer des individus... et d'en déduire des statistiques.

Quand les squelettes parlent
Avec 1,71 m de taille moyenne, les soldats de Towton étaient plus grands qu'on pourrait le croire à voir la hauteur des portes des bâtiments d'époque. Les squelettes, qui témoignent parfois de blessures passées et toujours d'une activité physique régulière, montrent des « déformations professionnelles », comme par exemple une jointure du coude gauche surdéveloppée, typique d'un archer. Les soldats étaient plus vieux à l'époque qu'aujourd'hui: 30 ans en moyenne, contre 19 ans aux victimes de la guerre du Vietnam. Quant à la dentition, contredisant le cliché de dents pourries, elle était plutôt forte et saine, le sucre étant pratiquement inconnu.

Le soldat « Towton 25 », âgé de 36 à 45 ans, n'avait aucune chance de survivre aux neuf coups infligés à Towton. Le plus effrayant barre son visage sur 10 cm à travers 3 cm d'os. Le tranchant de t'arme a laissé des traces jusqu'au fond de la gorge...

« Towton 16 » était aussi un vétéran de 50 ans, survivant de nombreux combats comme le montre nettement la blessure cicatrisée de sa mandibule inférieure. La face a éclaté sous l'effet d'un coup non tranchant, masse ou marteau. Mais le crâne a reçu huit blessures, marque d’un acharnement certain.

Le trou dans la tempe de «Towton 9 » est la signature indéniable d’un marteau de guerre.
Mais l’homme est-il mort au combat ou a-t-il été exécuté après ?


Déjà des armes à feu individuelles

II n'y a pas d'armes dans la fosse de Towton. « Mais le charnier nous offre une chance unique de confronter les armes de l'époque en relation avec les blessures provoquées », explique Graeme Rimer. Ainsi, « Towton 9 », un costaud quarantenaire, porte dans la tempe un unique trou carré presque parfait (15,7 mm sur 15,2) indiquant la pointe d'un marteau de guerre, tandis que « Towton 41 » porte sur le sommet du crâne le trou percé par une poleaxe (une hache de guerre combinant tranchant et marteau pointu). À la surprise des archéologues, des balles de plomb et des fragments d'un petit canon trouvés dans le sol font de Towton la première bataille livrée dans la campagne britannique mettant en scène des armes à feu individuelles. Autre surprise: la piètre qualité des têtes de flèches, faites en tôle martelée et non en fer forgé, qui ne demande pourtant guère plus de temps. Pourquoi ? « Sans doute a-t-on fait appel à un artisan local qui préférait cette méthode », explique Graeme Rimer.


Des soldats peu protégés

Les combattants de Towton étaient probablement des fantassins mal équipés. Faute d'avoir trouvé des restes sur le terrain, les chercheurs se réfèrent à un document contemporain unique en Angleterre, le Bridport Muster Holl (« Relevé d'équipement de Bridport ») de 1457, une liste comptable des armes et équipements d'une troupe de 201 soldats. Or, ce document indique que 60 % des combattants ne portaient aucun équipement défensif ! Pour 201 hommes, on comptait ainsi 74 salades (casques en métal), 67 jaques (jacks, vêtements matelassés), quatre paires de gantelets, trois cottes de mailles, deux brigandines (armures de métal recouvertes de tissus), deux armures, un jeu de harnais de jambes, une cuirasse, 27 boucliers, 23 pavois (grand bouclier rectangulaire).



Par Joanne Taaffe, Guerres & Histoire N°5, février-mars 2012.
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